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Rencontre avec...

Servane Etchegaray, photographe

A coups de millions de pixels, chacun mitraille désormais son quotidien. Pour autant, voyons-nous tous la même chose ? Photographe professionnelle depuis 12 ans, Servane Etchegaray sépare le bon grain de l’ivraie. Mariages, grossesses, fêtes de famille... De ces moments clefs de nos vies, elle fixe le geste fugace, le regard tendre, l’infime détail qui échappe à tous, sauf à l’acuité de son regard. Tombant le masque, Servane s’engage aujourd’hui dans une démarche plus personnelle où la création grignote la vedette à la commande. Créer devient Sa matière.

LES REVELATRICES :

Vous souvenez-vous de vos premières photos ?

SERVANE ETCHEGARAY :

Cela m’était si difficile de rester assise lors des repas de famille que, très tôt, je me suis emparée de l’appareil photo de l’un ou de l’autre. Peut-être pour me cacher. Sûrement pour mieux regarder ceux qui m’entourent. M’effacer pour trouver ma place, faire souvenir du moment.


Quelle importance occupe le matériel photographique dans votre travail ?
Il tient peu de place. N’étant pas photographe de formation, pour moi il s’agit d’un filtre. Un moyen pour être légitime à regarder. Quoique, le téléobjectif me permet d’observer de près, tout en étant loin. Une sorte de « trou de souris » par lequel je vois sans être vue...

Comment expliquer votre regard si particulier posé sur ceux que vous photographiez ?

Un reste de mon métier de biologiste spécialisée en éthologie animale*. Dès mes premiers reportages photos, j’ai agi à l’instinct, appliquant aux humains ma capacité à les suivre, à ressentir les situations. Je dispose de peu de temps pour les ‘scanner’, décrypter leur intérieur, comprendre leurs attentes et m’adapter.
« Prendre une photo » : le terme n’est pas anodin. Ma mission c’est de redonner aux gens ce que j’ai perçu.

Une image à la fois aimable et fidèle de ce qu’ils sont en dedans.

Quelle est votre matière à créer ?
Il y a peu, je vous aurais répondu « l’humain ».  Mais la vraie matière de ma création, c’est l’émotion !
Dans mon travail de commande, ne choisissant pas ceux que je photographie, lors de chaque rencontre je dois trouver un ‘truc’ qui me prend aux tripes, provoque mon envie de les photographier. J’y parviens toujours, même si plus difficilement parfois...


 L’émotion étant votre matière à créer, désormais où allez-vous la puiser ?
Je pleure moins aux mariages, cependant la source n’est pas tarie. Au contraire, elle est en moi ! Sa première matérialisation : un projet personnel intitulé « Improvisation ».

 

L’objectif est-il braqué sur vous ?
Pas au sens où vous l’entendez ☺. Il s’agit avant tout d’un projet conjugué au féminin. Indépendance et liberté suprêmes : dans ce travail personnel, je fais naître l’émotion en photographiant des femmes que je choisis. A travers chacune, c’est un peu de moi que je recherche.

Que voyez-vous de vous en elles ?
Toutes différentes. Toutes inspirantes. Chacune fait écho à une partie de moi. Ce que je suis, ce que je ne suis pas, ce que j’aimerais être...
La Parisienne working girl, guerrière ultra féminine qui me fait rêver mais que je ne serai jamais. Celle dont le corps à la différence du mien, peut tout exprimer, tout transcender avec la danse. La femme aux courbes voluptueuses acceptées et même aimées. La première et unique stagiaire face à qui je me suis enfin assumée comme photographe professionnelle.

Un jeu de miroirs dans lequel toutes participent à créer une sorte de portrait de moi, en creux et en bosses.

Qui je suis ? Je le découvre chaque jour. J’ai besoin de m’en convaincre, de me mettre à l’épreuve des autres pour m’accepter et gagner en confiance.

 

Pourquoi nommer ce projet « Improvisation » alors que, cette fois, c’est vous qui décidez de vos sujets ?
Bien sûr, j’ai choisi ces femmes, ainsi que souvent le lieu des shootings, à la recherche d’une ambiance, d’une lumière... En revanche, ce qui se passe durant les deux ou trois heures de travail relève de la surprise.
Aucune n’étant mannequin, au début je m’interrogeais sur la façon de les tenir en haleine, de conserver leur attention. La parole s’est naturellement installée au centre des séances tel un révélateur. Pas sous forme d’instruction mais sous celle d’échanges intenses. Partagés comme des confidences, ces mots tissent des liens de confiance d’où naît l’émotion que je transforme en images. 


« A travers chacune, c’est un peu de moi que je cherche. »

En regardant aussi intensément les autres,
percez-vous leurs secrets ?

Je dirais plutôt qu’en s’abandonnant à mon objectif, elles me laissent entrevoir d’autres facettes de leur personnalité. Je ne suis pas psy. Seulement poreuse au bonheur comme au chagrin des gens. Même si je connais un petit morceau de leur histoire, l’émotion ne prend pas le dessus, elle reste ma matière à créer. Quant à l’appareil photo, il conserve son rôle : un outil qui établit une juste distance.
Plus que de percer des secrets, ce travail personnel confirme une évidence...

Nous sommes toutes et tous des êtres complexes, à la fois forts et fragiles, sûrs de nous et plein de doutes, rarement à l’aise avec notre propre image.

 

Pourquoi ponctuer vos photos de mots ?
Les images ne se suffisent-elles pas ?

Puisque photographier ces femmes m’aide à voir qui je suis, à la manière d’indices, j’ai posé quelques mots.
Mais des bribes seulement, parce que tout travail artistique est source d’interprétation. Chaque personne qui regarde l’une de ces photos improvise sa propre histoire.


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Merci beaucoup à Servane Etchegaray de nous avoir permis de lever le voile sur ce travail très personnel.

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